Chapitre 3
Pandora, accroupit devant l'abreuvoir cassé, se demanda comment elle allait pouvoir réparer ce désastre. Lorsqu'elle comprit que cette réparation n'était pas dans ses cordes, elle se résigna à tenter quoi que se soit. Elle saisit son téléphone portable, effectua quelques recherches sur celui-ci et composa un numéro. Une voix d'homme répondit.
_ Monsieur Powell ? Bonjour. J'aurais besoin d'un plombier dans l'après-midi, croyez-vous que cela est possible ? Très bien. Au château des sept chênes, à quatre kilomètres de Tericey. Oui, cette route-ci. Merci, alors à tout à l'heure.
Pandora raccrocha et enfouit l'appareil dans la poche arrière de son jean usé. En attendant l'arrivée du plombier, elle évacua la paille et le foin trempé puis ramassa la mangeoire détruite pour la remplacer par une neuve, stockée dans le grenier.
Elle alla ensuite vider le contenu de la brouette dans le tas de fumier puis s'accorda quelques minutes de répit à observer les chevaux, paissant paisiblement dans leur pâture respective.
Elle s'intéressa de plus prêt à Oméga. Ce bel hongre de race Appaloosa et de couleur bai présentait quelques traces blanches sur la croupe, ainsi que deux petits cercles de cette même couleur sur une épaule. Deux grandes balzanes ornaient ses postérieurs, tandis que paradoxalement, une toute petite trace blanche se cachait sur un de ses antérieurs. Sa longue crinière noire, lorsqu'elle était exposée à la lumière du soleil, dorait légèrement, lui conférant une certaine prestance.
Pandora détourna le regard. Elle avait encore beaucoup à faire. Ethan n'allait pas tardé à rentrer du travail, et s'il n'avait pas quelque chose à se mettre sous la dent, sa bonne humeur allait en pâtir. Il travaillait tellement dur pour que le refuge puisse s'épanouir sereinement. L'héritage de leur parent avait était totalement épuisé dans la réparation du château et la création des clôtures et des espaces de travail pour les chevaux. Pandora le savait, le petit travail d'ouvrier qu'avait trouvé Ethan ne lui convenait pas. Il rêvait d'être professeur. Ethan a toujours aimé enseigner. Il avait même fait des études pour cela. Seulement, aux alentours de Tericey, les places en tant que professeur se faisaient rares, et l'endroit le plus proche où Ethan pouvait enseigner était à soixante kilomètres du château. Il chercha donc un autre emploi, plus proche du domaine, et trouva un travail en temps que maçon. Malgré ses capacités physiques et ses connaissances de la maçonnerie, Ethan ne trouvait aucune satisfaction à travailler dans ce milieu.
Pandora s'était promise que pour le remercier de tous ses sacrifices, elle lui faciliterait la vie du mieux qu'elle pouvait, en commençant par lui préparer ses repas.
Sur ces pensées, la jeune femme se dirigea vers le bâtiment central du château, là où ils avaient aménagés leur lieu de vie.
Une fois dans la cuisine, Pandora farfouilla dans le frigidaire, dans l'espoir de trouver de quoi concoctait un repas mangeable. La jeune femme réussit à trouver quelques œufs, un pot de margarine presque vide et du rappé d'emmental atteignant la date limite de péremption.
Pandora était en train de déposer le fromage rappé sur l’omelette en train de cuir quand son frère pénétra dans la petite pièce chaleureuse.
_ Qu'est ce que tu nous concoctes ? demanda Ethan tout en passant la tête par dessus l'épaule de sa sœur, observant ainsi le contenu de la poêle.
_ Une omelette au fromage. Il va falloir que j'aille en ville demain, sinon je ne crains que nous soyons obligés de manger du foin, répliqua Pandora, en repoussant l'intrus perché à ses côtés. Pousse toi de là, tu empestes la sueur, rajouta-t-elle, mimant un mouvement de main ayant pour but de chasser l'infâme odeur.
_ Tu crois que j'ai le temps d'aller prendre une douche ?
_ Oui, vas-y, ça sera prêt dans un quart d'heure.
Pendant que l'omelette finissait de cuir, Pandora sortit d'un placard une assiette ainsi qu'un verre et des couverts, qu'elle disposa sur une petite table ronde en pin.Elle s'assit sur une chaise en face de la table et se mit à réfléchir. Qu'allait devenir le petit cheval gris ? Derrière sa carapace d’indifférence se cachait une âme tourmentée, ne demandant qu'à être sauvée. Et si... Non, Pandora chassa ces idées de sa tête. Déjà que trois chevaux allaient être durs à assumer, un quatrième détruisant tout sur son passage n'était certainement pas ce qu'il leur fallait. Pandora le ramènerait au refuge cette après-midi. Il sera entre de bonnes mains, et une fois remis totalement sur pieds, il trouvera une famille qui l'aimera et le chérira.
Pandora se leva et alla observer par la fenêtre Big Ben, broutant paisiblement au loin. Avec un peu de chance, elle pourrait obtenir quelques nouvelles lorsqu'il sera dans sa nouvelle famille. Puis rien ne l'empêche d'aller le voir de temps à autres, tant qu'il sera à l'Arche de Poe du moins.
Lorsque Pandora sentit deux mains rugueuses se poser sur ses épaules, elle sursauta et se retourna vivement, prête à attaquer en cas de besoin. Elle poussa un long soupire lorsqu'elle reconnut le visage de son frère.
_ Idiot ! Tu m'as fait une peur bleue, l'accusa-t-elle tout en se détournant d'Ethan.
_ Qu'est-ce qui te tracasses ? La questionna-t-il, le regard impassible.
_ Rien. Je pensais juste à Big Ben. Assied-toi, l'omelette va refroidir.
Il s'exécuta lorsque Pandora le servit.
_ Comment va le blesser ?
_ Très bien. C'est un comédien, il ne boîte pas. Ce matin, quand je suis entrée dans son box pour le faire sortir afin de nettoyer les dégâts...
_ Quels débats ? la coupa-t-il.
_ Il a réduit en miette sa mangeoire, a bousillé la porte de son box et a fusillé l'abreuvoir.
Elle fit une pause pour déposer la poêle dans l'évier et s’asseoir en face de son frère.
_ J'ai essayé de le réparer, mais il l'a sacrément amoché. Du coup, j'ai appelé un plombier, il vient cette après-midi.
Ethan poussa un grognement avant d’enchaîné :
_ J'aurais pu y jeter un coup d’œil ! L'accusa-t-il. On a déjà suffisamment de dépenses à faire, si c'est pour en plus se ruiner avec un plombier qui ne fera que masquer le problème !
_ Je n'ai pas voulu te rajouter de travail supplémentaire, tu as déjà beaucoup à faire avec les travaux du château et ton boulot, répliqua-t-elle, en haussant les épaules.
Il y eut un long silence, puis Ethan demanda :
_ Tu ne manges pas ?
_ Non, je n'ai pas faim, j'ai grignoté ce matin, répondit Pandora, l'air désinvolte.
_ Tu ne manges pas beaucoup en ce moment, et tu passes ton temps à rénover le château. Tu as perdu du poids, ça se voit, dit Ethan avec une pointe d'inquiétude, en désignant du regard le corps amaigri de sa sœur.
_ Je suis suffisamment grande pour m'occuper de moi, Ethan.
Pandora se leva, attrapa sa sacoche et ajouta avant de sortir :
_ Tu sais, avant de te soucier de moi, tu ferais mieux de t'occuper de toi. Tu en as plus besoin que moi.
Sur ces mots, Pandora sortit de la cuisine et se dirigea tranquillement vers les écuries.
Lorsque qu'Oméga, Jupiter et Silver furent chacun dans leur box respectif, Pandora se dirigea vers le pré de Big Ben, un licol à la main et quelques carottes dans les poches. Le plombier ne devant venir qu'en fin d'après-midi, Pandora avait le temps de ramener le petit cheval à l'Arche de Poe.
A peine pénétra-t-elle dans la pâture que Big Ben leva la tête, prêt à partir au fond du pré pour ne pas retourner au box. Pandora n'étant pas d'humeur à jouer au chat et à la souris, continua néanmoins de se diriger vers l'étalon en le défiant du regard. Celui-ci, visiblement dérangé d'être pris ainsi de front, coucha les oreilles et se mit à gratter le sol avec un antérieur. Pandora, n'étant pas le moins du monde intimidée par ce comportement, continua de marcher et s'arrêta lorsqu'elle fut à deux mètres de l'animal. Au bout de quelques minutes, Big Ben s'avança vers Pandora, les oreilles pointés en avant, la renifla, recula et coucha de nouveau les oreilles. La jeune femme se rapprocha de l'étalon, en gardant toujours une démarche assurée. Ils se jaugèrent du regard lorsqu'ils furent à quelques centimètres l'un de l'autre. Pandora aurait pu attraper Big Ben tandis que celui-ci aurait pu s’enfuir ou riposter à cet affront, mais aucun d'eux ne bougea. Plus qu'un simple défi, une véritable confrontation silencieuse.
Au bout d'un moment, l'étalon détourna le regard en soufflant, comme lassé de ces yeux pesant sur les siens.
Soudain, au moment où Pandora s'y attendait le moins, le cheval se mit brusquement debout sur ses postérieurs, comme pour dire à la jeune femme : « Regarde comme je suis grand et fier ! Tu n'auras pas le dessus sur moi, je suis le plus fort. »
Pandora, toujours impassible, ne bougea pas d'une oreille. Big Ben, à peine retombé sur ses quatre membres lança une première ruade, puis une seconde, jusqu'à en enchaîner un nombre incalculable.
Pandora était toujours là, à regarder d'un regard hautain les faits et gestes de l'animal. Celui-ci galopait vers Pandora, essayant de l'intimider. La jeune femme ne se démonta pas quand l'étalon se rua bien trop près d'elle.
Au bout de plusieurs longues minutes, le cheval revint vers elle en trottinant, la queue en panache, visiblement fier de ce qu'il est. Il s'arrêta en face de Pandora, exactement au même endroit de la confrontation, souffla, la regarda et baissa l'encolure, en signe de capitulation.
La jeune femme s'autorisa alors quelques secondes de répit pour souffler.
Pour ce genre d'affront, il faut toujours garder son sang-froid et faire preuve d'une incroyable indifférence.
Pandora contourna la tête du cheval, pratiquement posée sur ses pieds, et se plaça face à son encolure. Pour la première fois, elle put caresser Big Ben sans que celui-ci ne montre signe d'hostilité.
« Tu es un bon cheval... Je te l'ai dit, à la loi du plus fort, je gagne toujours. »
Elle lui passa délicatement le licol en cuir qu'il portait lorsqu'ils l'avaient trouvé dans la cour et le conduit hors du pré.
L'Arche de Poe n'était qu'à trois kilomètres du château. N'ayant pas de quoi conduire Big Ben au refuge, Pandora dut se résigner à l'y conduire à pied.
Ils empruntèrent le chemin caillouteux, seul lien avec la civilisation. Le chemin déboucha sur une petite route mal entretenue. Les voitures ne passaient pas souvent par ici. La route étant en piteux état, les automobilistes préféraient faire un détour.
Pandora et Big Ben marchaient tranquillement à côté de la chaussée. Parfois, le petit étalon s'arrêtait pour renifler une odeur, observer un buisson dont les feuilles étaient agitées par le vent ou encore se regarder dans le petit ruisseau à leur côté. Un lapin de garenne et un écureuil avaient croisés leur chemin. Les animaux sauvages, peu habitués à avoir de la visite, s'enfuyaient pour se cacher dans les premières herbes hautes venues.
L'étalon gris et son accompagnatrice quittèrent la route pour s'engager sur un petit chemin de terre battue, entouré de différentes espèces d'arbres. Les oiseaux, indifférents à leur présence, chantonnaient leur douce mélodie, berçant ainsi la forêt. Au bout du chemin, une grande colline s'affichait, avec en son sommet un grand bâtiment entouré de pâtures verdoyantes.
« C'est sans doute de là que tu viens. » murmura Pandora au petit cheval, visiblement plus intéressé par l'herbe qui l'entourait que par elle.
Ils reprirent donc leur route et s'approchèrent du refuge. C'était un bel endroit. On pouvait apercevoir au loin quelques chevaux en train de brouter paisiblement dans leur pâture respective. Derrière la colline, la mer s'affichait, amenant avec des odeurs d'algues et de sel.
A cinq cents mètres du refuge, un hennissement retentit. Big Ben leva soudainement la tête, dressa les oreilles, enregistrant le son qu'il venait d'entendre. Soudain, il se tourna vers Pandora et tira pour que celle-ci lâche la longe qui l'empêchait de s'enfuir. La jeune femme, refusant de céder au caprice de l'animal, tint bon. Big Ben redoubla d'effort et réussit à se délivrer des mains de son accompagnatrice lorsqu'il se leva sur ses postérieurs. Une fois conscient de sa liberté retrouvée, il se mit à galoper en direction du hennissement ayant retentit précédemment.
_ Big Ben ! Hurla la jeune femme à pleins poumons.
Pandora se mit à la poursuite de l'animal, essayant de l'arrêter au simple son de sa voix. Soudain, tout son corps s'écroula sur le petit chemin terreux.